"Beaucoup de gens me posent la question, mais la réponse est non : je ne prends pas de drogues." Bizarre, on aurait juré le contraire. D'abord – attention cliché – parce qu'Eblis Álvarez est colombien. Mais surtout parce que la musique de son groupe, les Meridian Brothers, a franchi la ligne blanche. Déjà, et c'est subversif par temps sociétal couvert, elle donne envie de rire, jusqu'à la crampe, jusqu'à la crise, sans qu'on sache vraiment pourquoi, ni comment s'arrêter, ni pourquoi on devrait s'arrêter alors qu'on n'avait pas autant ri depuis les Residents, Devo ou le Beck des années 90 (qu'Eblis adore).
Sont-ce ces sons et ces voix trafiqués, qui évoquent des vinyles gondolés par une exposition prolongée au soleil, puis joués à la mauvaise vitesse ? Est-ce la façon dont Eblis Álvarez réinterprète les rythmes latinos, cumbia et salsa, comme des grains de maïs transgénique lâchés dans un four à micro-ondes ? Sont-ce les thèmes de ses chansons – ici, un zombie pourchassé par des vautours heureux ; là, des extraterrestres ; ailleurs, un refrain culotté qui fait "je n'ai pas de pantalon, je n'ai pas de pantalon" ? Est-ce parce qu'on a essayé de danser là-dessus et qu'on s'est retrouvé bras et jambes emmêlés ?
Electropicalisme, psychotropicalisme, dadaïsme latino, exotica hallucinogène, musiques traditionnelles poussées dans les joyeux confins de l'idiotie, de l'excentricité et de l'avant-garde : on en rêvait, les Meridian Brothers le font.
Un continent musical à découvrir, à surveiller. Car l'excentricité et l'inventivité insensée qu'on entend dans Desesperanza sont aussi des signes, la preuve que la meilleure musique, toutes catégories confondues, n'est plus réservée à l'Europe ou aux États-Unis.
Les Inrocks.