En mai 1797, la plus que millénaire République de Venise est vaincue par les armées de Bonaparte : elle sera bientôt cédée aux Autrichiens. La chute sans gloire de celle qui fut la Dominante est l'épilogue attendu d'une lente décadence politique et économique commencée dès le XVIe siècle avec la poussée turque en méditerranée et le déplacement vers l'ouest de l'axe européen dû à la découverte du Nouveau Monde.
Paradoxalement, le dernier siècle de la Sérénissime est marqué par une éblouissante floraison artistique et culturelle. Le XVIIIe siècle voit naître à Venise de très grands génies. L'aventurier Casanova, Goldoni et ses deux cent cinquante comédies, les musiciens Vivaldi, Albinoni, Marcello et Galuppi, sont les brillants représentants d'une cité inventive et vouée aux plaisirs des sens et de l'esprit.
Les beaux-arts atteignent des sommets avec des maîtres aux talents variés. Le portraitiste Rosalba Carriera charme les cours européennes avec ses pastels délicats. Le Carnaval, ses jeux et ses bals attirent de nombreux étrangers en mal de fantaisie et d'évasion : les petits tableaux de Pietro Longhi ont su immortaliser avec verve les rencontres galantes que le port du masque autorise. A Venise, naît alors un genre nouveau, la veduta qui met en scène la ville elle-même avec ses canaux, ses gondoles, ses ponts, ses palais, ses églises... Antonio Canal, dit Canaletto, est passé maître dans cet art avec une rigueur scrupuleuse mêlée de poésie. Son successeur Francesco Guardi a su apporter au genre une tonalité nouvelle, déjà de sensibilité romantique, offrant une vision chatoyante et bientôt hallucinée de la cité des doges et de la lagune. L'artiste qui, plus que tout autre, incarne l'éblouissante explosion de beauté de ce Settecento vénitien est Giambattista Tiepolo. Au-dessus des autels des églises, sur les plafonds des palais, son pinceau joue à merveille sur les transparences lumineuses. Ainsi, l'artiste donne vie à un monde empreint de bonheur, se refusant à imaginer la fin d'un rêve. Son fils Giandomenico, avec ses saynètes carnavalesques peuplées de polichinelles tantôt indolents tantôt joueurs, à sa manière et malgré la gravité des temps, prolonge le mythe de l'éternelle fête vénitienne.