par Etienne Klein, physicien et philosophe
Lorsqu’on interroge certains scientifiques sur l’origine ou sur la création du temps (ou bien de l’Univers ou de la matière), ceux-ci laissent accroire que la science serait devenue capable d’envisager la façon dont les choses ont effectivement accédé à l’existence. Est-ce arrogance de leur part ? Ou traduisent-ils en mot ce que leurs recherches dévoilent ?
La prudence devrait s’imposer, pour deux raisons. La première tient à ce que, lorsqu’on prend la question de l’origine vraiment au sérieux, on bute systématiquement sur des apories qui semblent indépassables : il arrive toujours un moment où on doit envisager une entité, une chose, dont on puisse dire : « cette chose n’est rien et doit devenir quelque chose », et le moteur de cette transition qui transforme « un rien » en « quelque chose qui n’est pas rien » est toujours insaisissable.
La seconde raison tient au fait que, lorsqu’on écoute les physiciens dissertant sur l’origine de telle ou telle chose, on découvre qu’il n’est jamais question de genèse proprement dite. Ils parlent surtout - et en fait seulement - de généalogies, de métamorphoses : les atomes sont fils des étoiles, elles-mêmes filles de nuages de poussières, dont la matière provient quant à elle des phases les plus chaudes et les plus anciennes de l’Univers... En d’autres termes, ils n’évoquent jamais que des transitions d’un état à un autre, des processus permettant de comprendre l’apparition d’un nouvel objet. Dès lors, toute origine entraperçue n’est jamais qu’une étape, qu’un commencement précédé d’un autre commencement, de sorte que le statut des origines que nous sommes capables d’envisager doit être systématiquement relativisé : nous n’identifions des sources qu’à la condition d’y associer les rochers d’où elles jaillissent…
Comment la science pourrait-elle alors aborder la notion d’origine prise dans son sens absolu, c’est-à-dire considérée comme le passage du non-être (rien, absolument rien n’existe) à l’être (quelque chose est) ? Peut-elle réellement envisager un commencement ex nihilo ?
Etienne Klein dirige actuellement le Laboratoire de Recherche sur les Sciences de la Matière du CEA et enseigne la physique et la philosophie des sciences à l'Ecole Centrale de Paris. Il a participé à divers grands projets, en particulier à la conception du futur grand collisionneur européen du CERN, le LHC, et à la mise au point d’un procédé de séparation isotopique par laser.